Diversifier les céréales de l’Ontario, du champ à l’assiette
Du Panic érigé indigène à l’orge prêt à consommer, les producteurs et transformateurs ontariens prouvent que la diversification des cultures renforce non seulement les sols et la biodiversité, mais aussi la résilience de l’ensemble des chaînes de valeur.
Elles étaient toutes deux des étapes de l’OSN Road Trip 2025 (organisé par l’Ontario Soil Network, partenaire de Terre à table), qui a ouvert les portes des bâtiments, des champs et des moulins à un groupe de visiteurs curieux, dont Stacie Irwin et Beth Hunter, membres de l’équipe Terre à table.
Passage au panic érigé

Face à des sols pauvres et caillouteux et à des pertes de rendements causées par la faune locale, Ron Toonders cultive depuis plusieurs années du panic érigé, une graminée vivace indigène, sur sa ferme de Williamsburg, en Ontario. Sur ses 1200 acres, 250 sont consacrés à cette culture, le reste au maïs et soya. Ron cultive le panic érigé pendant cinq ans avant de faire une rotation avec une autre culture. Les graines sont récoltées pour la vente et la paille pour la litière dans les fermes laitières.
Le panic érigé demande peu d’intrants : aucun apport en potassium ou phosphore et seulement 50 lb d’azote. Cultivé dans les zones les moins productives de la ferme, son système racinaire complexe améliore la santé des sols tout en étalant les périodes de plantation et de récolte au cours de l’année.
« Depuis 20 ans, l’érosion a tellement diminué que même après de fortes pluies, l’eau qui ruisselle des parcelles reste claire, au lieu d’emporter la terre comme avant », explique Ron.
Bien qu’il existe actuellement un marché pour les semences de panic érigé, soutenu par le programme Resilient Agricultural Landscapes Program (RALP) qui finance la plantation de prairies naturelles, le véritable défi reste la commercialisation de la paille. Malgré ses avantages évidents, moins glissante et plus absorbante que la paille de blé, les exploitations laitières préfèrent s’en tenir à la valeur familière que représente le blé.. Mais Ron est déterminé à surmonter cet obstacle :
« Un jour, je vais écraser le marché de la paille de blé ! », dit-il en riant.
L’orge au-delà du marché fourrager

Kevin Stewart est copropriétaire et exploitant d’Ottawa Valley Grain Products, où les céréales, principalement l’orge, sont décortiquées et polies pour la consommation humaine. Chaque semaine, trois à quatre camions d’orge partent de l’usine de Carp, en Ontario, et les résidus vont au marché de l’alimentation animale. L’entreprise est en activité depuis 1929.
« Nous avons commencé à moudre des céréales pour la farine il y a cinq ans afin d’aider la région lorsque les rayons des magasins étaient vides pendant la pandémie […] et la farine représente désormais 20 % de notre activité » explique Kevin.
L’intégration de l’orge et d’autres petites céréales (blé, seigle, avoine) dans les rotations est une pratique intéressante pour la durabilité des systèmes de culture : elle permet de briser les cycles des ravageurs et nécessite relativement peu d’intrants. Récoltées à la fin de l’été, elles permettent d’implanter des cultures de couverture avant l’hiver. Dans le cas de l’orge d’hiver, elle est semée à l’automne et recouvre les sols pendant l’hiver.
Si la majeure partie des produits céréaliers d’Ottawa Valley Grain Products est vendue à des co-emballeurs pour être commercialisée sous marque privée à Toronto et à Montréal, l’entreprise exporte également vers l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud. Les prix correspondent à un certain pourcentage du prix du maïs et sont légèrement supérieurs à ceux de l’orge fourragère. Les contrats conclus avec les producteurs prévoient des livraisons tout au long de l’année, avec des prix qui tiennent compte des coûts de stockage à la ferme. La majorité des céréales d’Ottawa Valley Grain Products provient de l’agriculture conventionnelle, mais l’entreprise transforme aussi des grains biologiques, même si son moulin n’est pas encore certifié.
« Nous nous approvisionnons en céréales auprès d’exploitations agricoles situées dans la vallée de l’Outaouais et ses environs, et souvent directement auprès des producteurs eux-mêmes » ; « Nous savons d’où proviennent nos céréales, comment elles sont livrées à notre moulin, puis transformées. », explique Kevin.
Relever le défi de la diversification
Kevin voit un important potentiel commercial pour l’orge et aimerait que davantage de producteurs en cultivent dans la région. L’entreprise avait de grands projets d’expansion, avec un prêt fédéral de 3 millions de dollars pour une usine de 12 millions de dollars à Almonte (Mississippi Mills), mais le projet a été suspendu en raison de l’incertitude entourant les tarifs douaniers américains.
« Les incertitudes qui pèsent sur le commerce mondial ont clairement montré que les gouvernements doivent considérer l’alimentation comme ils le font pour l’énergie, les infrastructures ou la défense, c’est-à-dire comme une question de sécurité nationale », explique Kevin.
Malgré leurs avantages environnementaux et agronomiques, le panic érigé et l’orge occupent une place mineure dans le paysage agricole ontarien, dominé par le maïs, le soja et l’avoine. Les défis à relever pour développer leur culture comprennent la nécessité de dépasser les pratiques traditionnelles (utilisation du blé comme litière) et les marchés bien établis (maïs, soja et blé).
Chez Terre à table, nous savons que les producteurs agricoles se tourneront vers des cultures plus diversifiées lorsque la viabilité financière sera démontrée tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Notre travail de diversification des cultures dans l’est du Canada consiste notamment à aider les cohortes de producteurs à relever les défis agronomiques liés à la culture de petites céréales et à tester des ententes et des contrats qui conviennent à tous, tant aux producteurs qu’aux acheteurs et développer des outils pour que les conseillers agricoles démontrent les avantages économiques à long terme de la diversification aux producteurs.






